Ces années-là: "PILOU"

Nous sommes très souvent attirés par l’interdit, cela a été maintes fois prouvé. Aussi quand je me suis fait éjecté de la petite pièce du patronnage de mon quartier par trois ados qui écoutaient Kili Watch, ils ont, sans aucun doute, déclenché en moi, ce qui allait devenir une véritable passion.
Cela se passait durant l’été 1961. Après avoir passé quelques jours de vacances en famille dans le Maine et Loire, j’occupais mes congés scolaires dans cet endroit où l’Abbé Badrault avait tout fait pour nous éviter de rejoindre les bandes de Blousons noirs, qui commençaient à se former dans notre ville. Avec mes treize ans, ces trois gars là, qui devaient bien avoir seize ans, avaient dû juger que j’étais bien trop jeune pour comprendre quelque chose à cette musique...
 

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En septembre 1961, j’entre en classe de quatrième au Collège d’Enseignement Général Marceau-Courboulay et le hasard m’installe juste derrière Pierre Capelle que je connaissais depuis la 5ème (pour mémoire sachez que cette année là, le premier numéro de Disco-Revue édité par Jean-Claude Berthon sort le 28 septembre). Je lui ai certainement raconté ma mésaventure car quelques mois plus tard, il m’a invité à venir chez ses parents. Nous sommes montés dans sa chambre et j’ai découvert, punaisés sur les murs, les posters des Chaussettes Noires et des Chats Sauvages (tous deux retirés respectivement des numéros 5 et 6 de cette publication mythique). J’ai bien entendu feuilleté avidement les pages des numéros qu’il possédait et dès lors je les ai tous achetés et suis devenu ainsi le rocker numéro 148.
Pierre a pris une petite pile de disques et nous nous sommes rendus chez sa grand-mère. Dans la salle à manger, sur une petite table, trônait le combiné radio-tourne disques, ce gros poste de TSF où, lorsque l’on soulevait son couvercle, apparaissait l’appareil de lecture des microsillons. Celui-ci possédait même un distributeur de 45 tours. Ce jour là je me souviens avoir écouté pour la première fois Rock Hoquet d’Henri Cording Salvador, Viens par Claude Piron et C’est Tout Comme (par le même rebaptisé Danny Boy). Pour ce disque, je pense sincèrement que les cagoules rouges qui ornaient la pochette avaient été, en partie, responsables de l’achat fait par Pierre. Nous sommes devenus de vrais copains et si quarante ans après on se voit rarement, il reste pour moi quelqu’un pour qui j’ai beaucoup d’amitié. Avec lui, j’ai assisté deux jours de suite à la projection de Vie Privée (avec Brigitte Bardot). C’est elle qui nous avait attirés le samedi après-midi, mais c’est bien le court métrage précédant l’entracte qui nous a fait revenir le dimanche. Il s’agissait du film d’Henri Calef Le Temps De La Fureur où l’on voyait les Chaussettes Noires, les Chats Sauvages, Rocky Roberts et les Airedales, Rocky Volcano et Vince Taylor (qui interprétait Twenty Flight Rock et se roulait par terre). On y voyait également les groupes déambuler en décapotable dans les rues de Juan Les Pins. Quel choc !
Dès que mes parents m’ont acheté un électrophone et mon premier EP Apache, Pierre a passé ses samedis après-midi et dimanches matins chez nous. Nous avons écouté des disques pendant des heures. Tout notre argent de poche disparaissait dans le tiroir caisse de la patronne de l’Ambiance, disquaire réputé du centre ville du Mans. Nous étions contraints de revendre les plus anciens pour nous procurer les nouveautés. Cette folie nous entraînera jusque dans la fabrication de guitares dans des planches de contre-plaqué. J’avais opté pour une Fender bleue ciel et Pierre avait choisi une Gibson SG rouge bien entendu. Seules les cordes étaient bien réelles et fixées à la tête de manche et au cordier par des vis pitons Mais pour la réalisation de nos fantasmes c’était le top, on arrivait même à jouer l’intro de What I Say et Les Cavaliers du Ciel (dans des versions très simplifiées il faut le reconnaître...)
Au fil des mois notre pile de disques avait pris de la hauteur. Nous nous partagions la tâche Pierre achetait les Chaussettes Noires et les Chats Sauvages, moi, les Pirates, les Champions et Vince Taylor. Quand il est arrivé avec les premiers Presley, Cochran et Gene Vincent, nous avons compris que Bettv n’était en fait que la reprise de Baby Blue
En juillet 1963, alors que les premiers disques des groupes anglais ne vont pas tarder à rejoindre le tiroir de ma commode, Pierre et moi entrons chacun dans la vie active. Pierre me laissant ses disques en nourrice. Quand en 1964, il découvre les deux guitares et l’ampli que j’ai acheté chez  Bonvalot Musique, ses yeux s’illuminent et il n’aura plus qu’une idée en tête, former un groupe.

                                                                                                                                                                                                    Suite.......